Cet article est le troisième de la série “Trois siècles en un”, consacrée à la France du XIXe siècle. Elle en compte dix-neuf. Le précédent est là. Le suivant est là. Le premier est là.
Cet article est le deuxième de la partie I “Révolutions et Républiques” de notre série. On a vu dans le précédent (“Le Cratère”) que les trois révolutions qu’a connues la France – 1789-1799, 1830, 1848 – avaient été déclenchées et cadencées par les soulèvements parisiens ; et que le reste du pays était la plupart de temps mis devant le fait accompli.
Il n’y aurait qu’à s’en féliciter si les émeutes parisiennes se bornaient à renverser des despotes et à forcer l’instauration d’institutions démocratiques. Mais, emportés par leur fougue, les révolutionnaires parisiens ont une tendance assez prononcée à vouloir ensuite exploiter leur position privilégiée pour faire pression sur ces institutions encore jeunes, notamment l'Assemblée nationale, dans le sens de leurs convictions politiques ou de leurs intérêts, qui ne sont pas nécessairement ceux des provinciaux.
L'historien Jules Michelet rapporte ainsi les appréhensions vis-à-vis de Paris, en septembre 1792 de députés de province fraîchement et démocratiquement élus : « Leurs préjugés contre Paris ne furent pas diminués par les premières impressions qu'ils recueillirent dans la foule, le jour même où, réunis, ils traversèrent les rues en corps. Ils entendaient dire sur leur passage cette parole étrange et naïve : “Pourquoi donc faire venir tant de gens pour gouverner la France ? N'y en a-t-il pas assez à Paris !”. Ce mot, échappé au hasard de quelques bouches imbéciles, n'en courut pas moins dans la Convention, et confirma beaucoup de ses membres dans l'idée que Paris prétendait à la royauté, et voulait être roi de France ».
C’est que les Parisiens ne sont pas peu fiers du rôle de tout premier plan qu’ils ont joué depuis le début de la Révolution : prise de la bastille le 14 juillet 1789 ; expédition au château de Versailles les 5 et 6 octobre 1789, où ils forcent la famille royale à rentrer avec eux à Paris et à s’installer aux Tuileries… La cocarde tricolore, symbole révolutionnaire par excellence, ne doit-elle pas, dit-on, ses couleurs – qui sont devenues ensuite celles de la république – à l’alliance supposée entre la ville de Paris d’une part, pour le rouge et le bleu, et la royauté d’autre part, pour le blanc ?... (Il est vrai que les assortiments de bleu, de blanc et de rouge étaient à la mode depuis quelques années déjà parmi les progressistes français, car c'était les couleurs des insurgés américains durant la guerre d'Indépendance. À vrai dire, il paraît plus naturel que celles de la cocarde viennent de là ; mais, le temps de cet article, écartons cette hypothèse assez vexante.).
En 1792, le pouvoir semble plus rouge et bleu que blanc. Les “sans-culottes” (révolutionnaires intégristes) soumettent les députés à une forte pression. Ils exercent leur influence dans toutes les instances parisiennes d'importance : les comités de Sections (la section est alors une subdivision administrative de Paris, qui en compte 48), la Garde Nationale (forces de maintien de l’ordre), ou la Commune de Paris (c’est-à-dire sa mairie). Ils peuvent ainsi présenter à l’Assemblée des pétitions, souvent menaçantes, et dont l’authenticité des signatures laisse du reste parfois à désirer ; ou organiser des rassemblements armés. Ils prétendent constamment – et sincèrement – s’exprimer au nom du peuple, mais ce peuple-là se réduit peu ou prou aux classes populaires parisiennes.
Michelet parle à ce sujet de l’«étrange dictature» exercée alors par la Commune de Paris. Etrange dictature qui pèse manifestement sur les nerfs de quelques-uns : voici ce que le député Isnard, député du Var, alors président de l’Assemblée, déclare devant celle-ci le 25 mai 1793 : “Ecoutez ce que je vais vous dire. Si jamais, par une de ces insurrections qui depuis le 10 mars se renouvellent sans cesse, il arrivait qu'on portât atteinte à la représentation nationale, je vous le déclare au nom de la France entière, Paris serait anéanti, bientôt on chercherait sur les rives de la Seine la place où cette ville aurait existé”.
Isnard est un député de la “Gironde”, groupe politique qu’on qualifierait aujourd’hui de centre droit, et soutenu surtout par la province (dont notamment, bien sûr, la région éponyme). Il est manifestement du genre soupe au lait et sa prophétie ne pouvait être prise au sérieux. Mais il n’est pas paranoïaque. La semaine qui suit la déclaration d’Isnard, le 2 juin 1793, c’est avec des canons braqués vers l’Assemblée que les sans-culottes la contraignent à voter l’arrestation de 29 de ses membres, des girondins jugés trop tièdes. Les institutions de la République sont donc violées par ceux-là mêmes qui se prétendent à son avant-garde, les sans-culottes. Cela accrédite durablement l’idée d’une fragilité intrinsèque du régime républicain, qui serait soumis aux humeurs de la capitale.
Echaudés, en octobre 1795, les députés suppriment carrément la mairie de Paris en tant qu’institution, et divisent la ville en 12 arrondissements qui deviennent autant de municipalités. En 1800, Napoléon Bonaparte supprime ces dernières et refait de Paris une municipalité unique, mais sans lui redonner de maire pour autant : la ville est placée sous l’autorité du préfet de la Seine, c’est-à-dire celle de l’Etat.
Paris aura de nouveau un maire durant les tout débuts de la IIe république (1848) et de la IIIe (1870-1871). Mais pour peu de temps à chaque fois. Le scénario est le même dans les deux cas : la ville est le théâtre d'une insurrection populaire qui est sanctionnée par une répression sanglante puis la suppression du poste de maire et la reprise en main par l’État. En juin 1848, c'est la répression d'un soulèvement ouvrier : 4000 morts ; en mai 1871, c'est l'écrasement de la Commune de Paris : 20000 morts. (La Commune de 1871 était une tentative de faire de Paris une commune fidèle aux principes républicains et inspirée par les idées socialistes. Elle fut créée en mars de cette année-là par les Parisiens dans le chaos qui suivit la chute du Second Empire et la perte de la guerre contre la Prusse. Nourrie notamment du souvenir de la mythique Commune insurrectionnelle de 1792, elle n'en avait cependant pas les prétentions centralisatrices et visait surtout l'autonomie.).
En 1848 comme en 1871, le pouvoir a voulu prouver au pays que la République n'était pas la marionnette des “rouges” de Paris. Et à chaque fois, il s'oppose au rétablissement d'une mairie, au motif qu'une émancipation de Paris risque de plonger tout le pays dans le désordre. Voici ce que déclare le ministre de l'intérieur Waldeck-Rousseau devant l'Assemblée en 1883 : “Qu'une ville quelconque se soustraie à la loi de l'Etat, que Toulon ouvre ses ports à l'étranger, que Lyon s'insurge, que la Vendée tout entière se soulève, et la France reste la France : mais que, dans Paris, règne l'émeute ou l'insurrection, qu'il s'y produise les journées de thermidor [chute de Robespierre, en 1799], de brumaire [coup d'État de Bonaparte, en 1799], de juillet 1830, de février 1848, du 2 décembre 1851, du 4 septembre 1870 et du 18 mars 1871, et la révolution de Paris devient une révolution ou une contre-révolution dans toute la France”.
Les choses évoluent, cependant. Près d'un siècle après cette déclaration, en 1975, la loi autorise à nouveau la ville à avoir un maire. Le premier de cette nouvelle ère est Jacques Chirac, élu en 1977. Quarante ans plus tard, en 2017, une deuxième loi autorise de nouveaux transferts de compétences de la préfecture vers la mairie ; ils permettent à Anne Hidalgo, à la tête de celle-ci, de décider en février 2019 de la création d’une police municipale. Le projet est cependant entouré de mille précautions : cette police sera en charge de la « tranquillité publique » et non de la « sécurité publique », celle-ci restant de la responsabilité de l’État, et elle ne disposera pas d’arme à feu.
“Les relations entre l'Etat et Paris sont parcourues d'affrontements. C'est même une des grilles de lectures les plus constantes et les plus exactes de notre histoire. […] L'Etat s'est toujours méfié de Paris, jusqu'à contenir la ville dans un statut particulier”, avait rappelé le président François Hollande, le jour même de son investiture, le 15 mai 2012, lors d’un discours à l’Hôtel de Ville. Les présidents nouvellement élus sont en effet traditionnellement invités, en signe d’entente entre la République et sa capitale - comme si cela n’allait pas de soi. Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron s'y sont aussi rendu aussitôt investi ; Napoléon avait fait de même le jour même de son sacre.
Notre prochain épisode s'intitule “La Grande Peur”. Nous y parlerons plus spécifiquement du sentiment des paysans sur les révolutions.
Sources principales :
Francis Démier, “La France du XIXe siècle”
France Culture, “Concordance des temps” par Jean-Noël Jeanneney : émission du 4 juillet 2009 “Girondins et jacobins: toujours aux prises?” avec Mona Ozouf
France Culture, “Concordance des temps” par Jean-Noël Jeanneney : émission du 8 septembre 2018 “Paris et l'Etat : autonome jusqu'où ?” avec Isabelle Backouche
Jules Michelet, “Histoire de la révolution”, T.5
France Inter, “La marche de l'histoire” par Jean Lebrun : émission du 21 novembre 2014 “Les Girondins 1792-1793” avec Mona Ozouf
France Culture, “Les Nuits de France Culture” par Philippe Garbit : émission du 19 mars 2017 “Michel Pastoureau : ‘Les origines du drapeau français sont énigmatiques’ ” avec Michel Pastoureau
Archives de l'Assemblée Nationale, “Assemblée nationale - 1ere séance du 2 décembre 1975” (http://archives.assemblee-nationale.fr/5/cri/1975-1976-ordinaire1/080.pdf)
Le site de la Ville de Paris www.paris.fr, pages “La loi sur le statut de Paris promulguée” et “La Ville de Paris va se doter d'une police municipale”
Discours de François Hollande à l'Hôtel de Ville du 15 mai 2012 (consultable sur www.dailymotion.com)
Commentaires