Cet article est le deuxième de la série “Trois siècles en un”, consacrée à la France du XIXe siècle. Elle en compte dix-neuf. Le précédent (et premier article) est là. Le suivant est là.
Cet article inaugure la partie I “Révolutions et Républiques” de notre série.
La France a connu deux révolutions au XIXe : celle de 1830, dite “Révolution de Juillet” ou “des Trois Glorieuses”, et celle de 1848, dite “Révolution de Février” ; mais la Révolution tout court, c'est la révolution de 1789.
Cette période (1789-1799) qui mit fin à la monarchie absolue et vit naître la première république, fut dense de bouleversements politiques, sociaux, culturels comme peut-être aucune autre dans notre histoire. Son souvenir a habité tout le XIXe siècle ; c'est un souvenir vivant, agissant : les intellectuels aiment alors à croire que l'histoire a une logique interne et qu'elle tend vers un but, aussi on tente de discerner ce que la Révolution de 89 préfigure, quels sont ses développements, quelles conséquences il faut encore en attendre.
D'un point de vue institutionnel, la Révolution a connu deux étapes importantes : d'abord, en 1789, remplacement de la monarchie absolue (un régime dans lequel le roi concentre tous les pouvoirs) par une monarchie parlementaire (un régime dans lequel le roi et un parlement se partagent le pouvoir) ; puis, en 1792, remplacement de la monarchie parlementaire par une république (un régime sans roi) - celle-ci étant marquée par l'exécution de l'ex-roi Louis XVI en janvier 1793.
Ce sont les soulèvements populaires qui ont déclenché et rythmé la révolution ; le plus connu d'entre eux étant le premier d'entre eux, la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789. Mais le problème est que ces soulèvements ont beau être populaires, ils ne sont pas pour autant démocratiques : ceux de Paris comptent doubles, ou centuples, par rapport à ceux de province.
C’est à Paris que siègent les députés ; c’est aussi là que vivent le Roi et la Reine - lorsque Roi et Reine il y a - depuis que, le 6 octobre 1789, les parisiens (essentiellement des parisiennes d’ailleurs en l’occurrence) ont été les chercher à Versailles et les ont forcés à s’installer au palais des Tuileries, au cœur de la capitale, afin de mieux les contrôler ; ce que Louis XIV avait justement voulu éviter en déplaçant la cour à Versailles au siècle précédent. Les Parisiens sont donc « sur le terrain des révolutions, au cratère même du volcan », selon les mots de l'historien Jules Michelet (1798-1874).
Lorsque les lieux de pouvoirs (chambre des députés, appartements du roi…) sont en passe d’être investis, ceux qui y siègent sont bien obligés de céder. Or, le succès ou l’échec de telles entreprises se joue très rapidement ; tandis que les informations, et a fortiori les troupes, circulent, elles, lentement dans le pays ; si bien que les provinciaux sont mis devant le fait accompli.
Ainsi, durant la première révolution, il suffit d’une journée – le 10 août 1792 – aux sans-culottes (révolutionnaires parisiens particulièrement remontés) pour chasser Louis XVI des Tuileries et l'emprisonner, abattant ainsi une monarchie millénaire. La nuit précédente, ils avaient investi l’Hôtel de Ville de Paris ; de cette “citadelle de la Révolution” - pour reprendre une expression de Stefan Zweig (issue de son livre “Joseph Fouché”) - ils tiendront la ville et ne cesseront, jusqu’en 1795, de contester le pouvoir en place, jugé trop à conservateur : c’est ce qu’on appellera la “Commune insurectionnelle de Paris” (à ne pas confondre avec la Commune de 1871, qui est celle à laquelle on fait en général référence lorsqu'on dit “la Commune” tout court).
Cette prédominance parisienne est toujours de mise au XIXe siècle. En 1830, trois jours d’émeutes parisiennes – les “trois glorieuses”, 27, 28 et 29 juillet - décident du renversement de Charles X. Dix-huit ans plus tard, il n’en faut pas davantage aux parisiens pour chasser son successeur, Louis-Philippe 1er (22, 23, 24 février 1848)
Symptomatiquement, le début et la fin du règne de ce dernier (règne qu'on appellera la “Monarchie de Juillet”) se jouent à l’Hôtel de Ville de Paris. C’est du haut d’un de ses balcons que le 31 juillet 1830, le populaire La Fayette donne l’accolade au futur roi et, peu difficile, déclare qu’on peut en attendre “la meilleure des républiques”. La foule se demande un temps si c’est du lard ou du cochon, puis acclame les deux hommes au bénéfice du doute. Pour Louis-Philippe, c’est gagné.
C’est du même bâtiment qu’est prononcée sa destitution en février 1848 : une poignée de personnalités politiques s’auto-institue “Gouvernement provisoire”, proclame la république et déclare que “la Nation sera immédiatement appelée à ratifier la résolution du Gouvernement provisoire et du peuple de Paris”. On appréciera la formule : les parisiens proposent, le reste du pays ratifie... L’acte est aussitôt présenté par un insurgé “à la foule furieuse et ravie”, nous dit Victor Hugo (‘Choses vues’). La Deuxième République peut commencer.
Inversement, le 4 décembre 1851, l’échec des émeutes parisiennes contre Louis-Napoléon Bonaparte - le futur Napoléon III - prononce le succès du coup d’Etat de ce dernier, déclenché contre la Deuxieme République deux jours plus tôt seulement. Quelques jours plus tard, et c’est notable, quelques départements de province – notamment Var, Hérault, Alpes de Hautes-Provence - sont certes le théâtre d’une courageuse résistance républicaine ; mais c’est trop tard : les gens connaissent la fin de l'histoire et préfèrent rentrer chez eux. Les insurgés, faute de soutien, sont contraints de se rendre. La Deuxième République a vécu.
Enfin, c’est à nouveau de l’Hôtel de Ville que sera proclamée la IIIe République, le 4 septembre 1870, après qu’une foule parisienne a envahi le Palais Bourbon où siégeaient les députés du Second Empire de Napoléon III.
Bref, le poids politique des Parisiens est incomparablement plus élevé que celui des provinciaux durant les révolutions. Que pense-t-on alors de cette disproportion ? C'est ce que nous verrons dans notre prochain article : “Le roi Paris”.
Sources principales :
Francis Démier, “La France du XIXe siècle”
Eric Anceau, “La France de 1848 à 1870 - Entre ordre et mouvement”
Alain Corbin, “Le village des ‘cannibales’”
Encyclopédie Universalis, articles “Ancien Régime” de Jean Meyer et “Deuxième République” de d'André Jean Tudesq
Jules Michelet, “Histoire de la révolution”, T.1
Philippe Vigier, “Le coup d'Etat de Louis-Napoléon Bonaparte” (https://1851.fr/auteurs/vigier/)
France Culture, “La Fabrique de l’Histoire” par Emmanuel Laurentin : émission du 17 décembre 2015 “Révolution française 4/4”, avec Manuel Covo et Marc Belissa
France Culture, “Avoir raison avec Jules Michelet” par Emmanuel Laurentin : émission du 16 juillet 2018 “Jules Michelet et la Révolution Française” avec Sylvain Venayre
Canal Académie, “La Monarchie de Juillet 1830-1848”, avec Gabriel De Broglie
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