Cet article est le douzième de la série “Trois siècles en un”, consacrée à la France du XIXe siècle. Elle en compte dix-neuf. Le précédent est là. Le suivant est là. Le premier est là.
Cet article est le second de la partie III “Les Royautés” de notre série. On a parlé dans notre article précédent de la “Restauration” (1814-1815 puis 1815-1830), le régime qui a suivi l’Empire de Napoléon 1er. Nous allons maintenant parler de celui qui lui a succédé en 1830 : la “Monarchie de Juillet”, régime né d'une révolution (dite “des Trois Glorieuses”) et renversé par une autre révolution en 1848 (dite “de février”) dont naîtra la Deuxième République.
En introduction, rappelons ce qu'était la Restauration. On a vu que le terme renvoyait au retour de la dynastie des Bourbon sur le trône - elle y était resté sans discontinuer pendant deux siècles avant d’en être chassée par la Révolution de 1789 ; qu’il s’agissait d’une monarchie constitutionnelle, avec un parlement aux pouvoirs très limités ; que seuls, les très riches pouvaient voter ou être élus députés ; que ces derniers se divisaient globalement en deux courants : d’une part les “libéraux”, bourgeois ou nobles progressistes attachés à certains des acquis de la Révolution, et de l’autre les “ultras”, nobles réactionnaires souhaitant jeter aux oubliettes tout ce qui s’était passé dans le pays depuis 1789 ; que les deux rois de cette période, Louis XVIII et surtout son successeur Charles X, avait viré de plus en plus à droite, favorisant éhontément les “ultras” ; que les parisiens, hostiles à cette orientation, avaient renversé le trône de Charles X au cours de trois journées de révolution dite des “Trois Glorieuses”, les 27, 28, 29 juillet 1830.
Bien. Ces trois fameuses journées ont certes renversé le trône, mais pas la monarchie. Les “libéraux” sont en effet habilement parvenus à récupérer le mouvement révolutionnaire au profit de leur champion, Louis-Philippe d’Orléans, et à le faire monter sur le trône ; ils lui donnent le surnom de “roi-citoyen” ; quant au régime, on l'appellera “Monarchie de Juillet”, en souvenir de l'insurrection.
Le tour de passe-passe laisse pour longtemps ahuris les républicains. Comme l’écrira Claude Tillier en 1843 dans son roman “Mon Oncle Benjamin” : “ne rêvons-nous pas depuis treize ans que nous avons fait une révolution ?”. Ironiquement, le tableau le plus emblématique des révolutions est pourtant consacré aux “Trois glorieuses” : c'est le fameux “La Liberté guidant le peuple” d'Eugène Delacroix. La colonne de la Place de la Bastille, à Paris, leur est aussi dédiée.
Louis-Philippe est un Bourbon, mais pas de la même branche que Louis XVIII et Charles X. Ceux-ci descendent directement de Louis XIV, comme Louis XV et Louis XVI avant eux ; tandis que lui descend du frère cadet du Roi Soleil, Philippe d’Orléans. Cette seconde branche, dite des “Orléans”, a toujours été influente mais n’a jamais gouverné, sauf lorsqu’un autre Philippe, fils du précédent, a assuré la régence - c’est-à-dire l’intérim - entre Louis XIV et Louis XV, entre 1715 et 1723.
Bref. L’ambiance est un peu tendue entre la branche aînée et la branche cadette depuis que le père de Louis-Philippe (surnommé ‘Philippe Égalité’), taquin, a voté pour la mort de Louis XVI au procès de celui-ci en janvier 1793 (avant d’être guillotiné à son tour en novembre). Pour cette raison et d’autres, la branche aînée considère l’accession de Louis-Philippe au trône comme illégitime. “Légitimistes” (supporters de la branche aînée) et “orléanistes” (partisans de la branche cadette) ne cessent de se chamailler durant le règne de Louis-Philippe et ensuite ; ce qui minera le crédit de l'un et l'autre courant.
La constitution du nouveau régime se base sur la “Charte” de 1814 (la constitution de la Restauration, cf. notre article précédent “Rien appris, ni rien oublié”) mais celle-ci a été modernisée par les “libéraux”, pour partie par conviction, pour partie sous la pression des révolutionnaires. Sur le plan des symboles, elle est débarrassée du préambule très condescendant de Louis XVIII (cf. notre article précédent là encore) ; Louis-Philippe Ier est “roi des Français”, comme l’était Louis XVI dans la constitution révolutionnaire de 1791, et non plus “roi de France” comme les rois de la Restauration et avant eux ceux de l’Ancien régime ; le drapeau français redevient tricolore (article 67), comme sous la première République et sous l’Empire - il était simplement blanc, couleur de la monarchie, sous la Restauration. Sur le fond, le catholicisme cesse d’être religion de l’État (suppression de l'ancien article 6), la liberté de la presse est mieux affirmée (article 7), la séparation entre législatif et exécutif accentuée (article 13).
Malgré ces améliorations, le régime est loin d’être démocratique. Notamment, le pouvoir exécutif reste confié au roi (article 12) sans limite de durée ; les ministres ne sont toujours pas responsable devant le parlement ; et surtout le suffrage reste très restreint : le cens - l’impôt minimal à payer pour pouvoir voter - a certes été abaissé, mais le nombre de votant reste négligeable : 250000 sur 35 millions d’habitants en 1848 (ils étaient environ 100000 sous la Restauration). Par comparaison, au même moment, on compte 800000 électeurs en Angleterre, qui est pourtant moins peuplée.
C’est que les “libéraux” d’alors ne sont pas des démocrates et ils ne s’en cachent d’ailleurs pas. L’inégalité de droits politiques, si elle est fondée sur la naissance (c’est-à-dire, concrètement : si elle avantage les nobles) les révolte - et c’est ce qui les distingue fondamentalement des “ultras”. Mais elle leur paraît parfaitement justifiée si elle est fondée sur la fortune. Pour eux, ce sont encore les plus riches qui sont les mieux à même de prendre les bonnes décisions politiques. C’est pourquoi ils sont très frileux dès qu’il s’agit d’élargir le suffrage : ils estiment que faire voter le peuple conduit tout droit aux pires excès de la Révolution, c'est-à-dire à la Terreur, cette période (mi 1793-mi 1794) où il suffisait d’être suspecté d’opposition au régime pour risquer la guillotine. C’est un raccourci hâtif (si l’on ose écrire), mais compréhensible : Louis-Philippe ainsi que trois de ses principaux chefs de gouvernement (Mathieu Molé, François Guizot, Victor de Broglie) sont des fils de guillotinés de la Révolution… On peut d’ailleurs indéniablement mettre au crédit de ce régime sa répugnance à se maintenir par la violence. Ceux qui suivront - républiques comprises - n’auront pas toujours ces pudeurs.
La monarchie de juillet a duré dix-huit ans, plus que le premier Empire ou la Restauration, les deux régimes qui l’ont immédiatement précédée. C'est qu'elle s'est montrée plus pacifiste que le premier (elle ne connaît qu'une guerre, la conquête de l'Algérie, mais celle-ci avait été commencée à la fin de la Restauration) et moins exclusive que la seconde (la noblesse n'est plus prépondérante, la mémoire de Napoléon Ier est réhabilitée et réintégrée dans l'histoire nationale). C'est une période charnière : l'âge d'or de la noblesse est désormais définitivement terminé, celui de la bourgeoisie commence.
Mais, pas davantage que l'Empire ou la Restauration, la Monarchie de Juillet ne s'est préoccupée des problèmes de pauvreté, alors même que la révolution industrielle, qu’elle a favorisée, a encore accru les inégalités et la misère ouvrière. Cette indifférence, combinée au refus obstiné d'élargir le suffrage, est à l'origine de la révolution de 1848 qui causera sa perte et son remplacement par la Deuxième République. Louis-Napoléon Bonaparte (alias Napoléon III), l'homme fort des deux décennies à suivre, ne mésestimera pas, lui, l'importance politique de ces deux questions - la question de la pauvreté, la question du suffrage. Mais de cela, on a déjà parlé.
Cet article clôt notre partie sur les royautés. Dans la prochaine partie nous parlerons de la France d'avant la Révolution - du Moyen-Âge jusqu'à 1789 - pour étudier un antagonisme qui persistera au XIXe, en dépit de tous les changements de régimes : celui entre nobles et roturiers (c'est-à-dire les non-nobles) ; avec en contrepoint une connivence inattendue : celle entre la bourgeoisie et les rois. Cette quatrième partie s'intitule “Retour sur l'Ancien Régime” et son premier article, “Les trois ordres”.
Sources principales :
Encyclopédie Univeralis, article “Juillet (monarchie de)” d'André Jean Tudesq
Encyclopédie Univeralis, article “France Histoire et institutions - Le temps des révolutions (1789-1944)” de Sylvain Venayre
France culture, “La Fabrique de l'histoire” par Emmanuel Laurentin : émission “Louis-Philippe - 4/4” du 17 octobre 2013 avec Sylvie Aprile et Laurent Theis
France Culture, “Les Lundis de l'histoire” par Philippe Levillain : émission “La Monarchie de Juillet” du 18 juillet 2011 avec Emmanuel Fureix, Gabriel de Broglie et Philippe Boutrye
Francis Démier, “La France du XIXe siècle”
Canal Académie, émission “La Monarchie de Juillet 1830-1848” avec Gabriel de Broglie
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