Cet article est le premier de la série “Trois siècles en un”, consacrée à la France du XIXe siècle. Elle en compte dix-neuf. Le suivant est là.
Le XIXe siècle est un siècle compliqué de l'histoire de France. A grosses mailles, avant, c’est la monarchie ; après, c’est la république ; pendant, c'est une alternance d'empires napoléoniens, de républiques, des monarchies, mais on ne se souvient plus très bien. Cette période de transition mérite certainement qu’on lui apporte un éclairage ; c’est ce que nous allons faire ici, dans une série de dix-neuf articles, dont celui-ci est le premier.
Définir les limites d'un siècle, c'est-à-dire choisir les années charnières où une période historique se clôt et une autre commence, est une affaire subjective. Il ne s'est rien passé de décisif en 1801, non plus qu'en 1900. On retient parfois 1814 pour le début (début de la première Restauration) et 1914 pour la fin (début de la Première Guerre mondiale). Nous choisirons ici plutôt 1789, début de la Révolution française ; et 1880 pour la fin, année où “la Révolution entre au port”, pour reprendre la jolie expression de l’historien François Furet signifiant qu'à cette date, le régime républicain est enfin bien établi. Voilà qui nous fait un petit siècle de 91 ans ; mais, sur le plan politique, qui est celui qui nous intéresse ici, il n'en est sans doute pas de plus dense.
Pour débuter, donnons un bref aperçu chronologique des régimes qui se sont succédés durant cette période, en nous appuyant sur la frise ci-dessous. Cet aide-mémoire nous accompagnera tout au long de cette série : nous le ferons figurer en tête de chaque article.
En 1789, commence la Révolution française. C’est un séisme qui met fin à l'“Ancien Régime”, c’est-à-dire à la monarchie absolue ainsi qu'à l’ordre social issu du Moyen-Âge qui privilégiait une partie de la population - la noblesse - par rapport à l’autre. Désormais, une assemblée élue par le peuple (hormis les femmes et ceux qui ne paient pas l'impôt) détient le pouvoir législatif. C’est une période compliquée mais très intense, marquée notamment par l’abolition des privilèges de la noblesse (1789), la suppression de la monarchie avec la Première République (1792), l’exécution de Louis XVI (1793), l’abolition de l’esclavage dans les colonies (1794, mais il sera rétabli en 1802) et aussi l’essor d’un jeune général remportant victoire sur victoire, Napoléon Bonaparte.
En 1799, c’est le Consulat, institué par le coup d’Etat dit du “18 brumaire” (9 novembre) et taillé pour donner le plus de pouvoirs possible à Napoléon Bonaparte (Premier Consul) tout en conservant les apparences d’une république.
En 1804, c’est l’Empire. Napoléon Bonaparte s’accorde tous les pouvoirs, notamment celui de fonder une dynastie, ainsi que le titre d’empereur, sous le nom de Napoléon Ier. Le terme d’Empire évoque bien sûr l’Empire romain ou celui de Charlemagne, mais ce n’est jamais qu’une monarchie qui refuse de dire son nom, dans laquelle une nouvelle dynastie, fondée par Napoléon, est censée remplacer celle des Bourbons qui a régné jusqu’en 1792. Dans son enthousiasme, Napoléon envahit le continent européen.
En 1814, c’est la Restauration, c'est-à-dire le retour de la royauté. Les puissances européennes ont triomphé de Napoléon. Celui-ci tentera cependant un come-back en 1815, qui avorte au bout de trois mois (ce sont les “Cent-jours”) avec la défaite de Waterloo. Le frère cadet de Louis XVI est placé sur le trône. Il prend le nom de Louis XVIII. Charles, son frère, lui succède à sa mort en 1824 sous le nom de Charles X. Sa politique très réactionnaire le rend très impopulaire et il est contraint à abdiquer à l’issue d’une révolte parisienne de trois jours, les 27, 28 et 29 juillet 1830. On appellera ces journées les “Trois Glorieuses”. Le célébrissime tableau de Delacroix ‘La liberté guidant le peuple’, est une évocation de cette révolte.
En 1830, c’est la Monarchie de Juillet, née des Trois Glorieuses. Le duc Louis-Philippe d’Orléans devient roi sous le nom de Louis-Philippe Ier. Il est beaucoup moins rétrograde que son prédécesseur mais devient toutefois au fil du temps de plus en plus conservateur. Une insurrection populaire le contraint à abdiquer le 24 février 1848 : c'est la Révolution de février.
En 1848, c’est la Deuxième République, née de cette révolution. Le suffrage est étendu à tous les hommes majeurs, mais les femmes ne votent toujours pas. En avril, l’esclavage est définitivement aboli. Le 10 décembre, Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de Napoléon Ier, est élu Président de la République. Il est le premier de notre histoire à exercer cette fonction, qui n’existait pas sous la Première République. Louis-Napoléon Bonaparte met fin à la Deuxième République par un coup d’Etat le 2 décembre 1851.
En 1852, c’est le Second Empire, fondé par Louis Napoléon Bonaparte qui prend alors le nom de Napoléon III. Nous parlerons beaucoup dans cette série de Louis-Napoléon Bonaparte et du Second Empire : écrasés par l'ombre de Napoléon 1er et du Premier Empire, ils sont souvent méconnus du public.
En 1870, c’est la Troisième République. (Non, les femmes ne votent toujours pas ! Il faudra attendre la Quatrième République.). Elle est proclamée pendant la guerre contre la Prusse, le surlendemain de la bataille de Sedan, où Napoléon III est fait prisonnier par l’ennemi. Pendant ses premières années, sa légitimité est contestée et sa survie paraît hypothétique, mais elle finit par s’imposer et durera finalement jusqu’en 1940. A ce jour, dans notre pays, aucun régime n’a connu une telle longévité depuis 1789.
Bien. Les républicains les plus exaltés auront lu ce qui précède comme une épopée : c’est la longue marche d’un peuple têtu vers sa liberté ; elle est chahutée, cette marche, par les vents contraires de la réaction (des vents qui portent des prénoms, comme les ouragans : Napoléon, Louis, Charles...) ; mais elle atteint finalement la terre promise lorsque, autour de 1880, la IIIe république n’est plus sérieusement menacée. Le personnage principal de cette épopée, c’est le peuple ; son humeur est réglée sur l’état des libertés politiques, qu’il conquiert à coup d’émeutes : liesse pendant les républiques, soupe à la grimace le reste du temps. Le lecteur flemmard peut se contenter de cette vision caricaturale : elle n’est pas si loin de la réalité.
Le lecteur plus curieux voudra comprendre pourquoi il a fallu si longtemps pour que la Révolution de 1789 “entre au port” ; alors même que, de nos jours, le principe d'un régime républicain ne fait plus débat. C’est à lui que cette série s’adresse.
S’il a le goût des statistiques, il notera que l’Histoire a distribué équitablement ses années 1800 aux différents types de régime : le césarisme des Bonaparte (l'oncle et le neveu), la république (IIe et IIIIe), la royauté (Louis XVIII, Charles X, Louis-Philippe Ier), chacun aura eu droit à ses 33 ans et quelques. Équitablement, mais comme au petit bonheur : nous avons un Empire, puis des royautés, puis une République, puis de nouveau un Empire, puis de nouveau une République... Ce siècle épars n’a pas attendu les historiens pour, comme les y invite le philosophe Walter Benjamin, “faire éclater le continuum de l’histoire”.
Le lecteur lira peu de choses dans nos articles sur ces alternances de régimes. Ce dont on parlera en revanche, ce sont des tensions diverses, à l’oeuvre durant tout le siècle, qui les usent et les déforment, ces régimes ; et que l’un d'entre eux parvient cependant finalement à apaiser suffisamment pour se perpétuer : c'est la république, “le gouvernement qui nous divise le moins”, selon l'expression d’Adolphe Thiers (qui sera le premier président de la Troisième République). Ces tensions, ce sont notamment celles entre Paris et la province ; entre les bourgeois et les paysans ; entre les nobles et les non-nobles.
La série s’organise en cinq parties, qui font chacune entre deux et cinq articles.
La partie I “Révolutions et Républiques” est consacrée aux révolutions et aux trois premières Républiques.
La partie II “Les Empires” est consacré au Premier et au Second Empire - enfin, surtout au Second.
La partie III “Les Royautés” présente la Restauration et la Monarchie de Juillet.
La partie IV “Retour sur l'Ancien Régime” recherche dans l'Ancien Régime les origines de ces tensions que nous avons évoquées.
Quant à la partie V “La quête des origines”, le lecteur verra bien de quoi il retourne lorsqu’il en sera là, s'il lui plaît d'y arriver.
Enfin, en épilogue, nous achèverons notre série par un dix-neuvième article relatant un fait divers tragique survenu en août 1870 - juste avant la chute du Second Empire - et qui semble concentrer toutes les tensions.
Notre prochain article inaugurera donc notre première partie “Révolutions et Républiques”. Il s'intitule “Le cratère”.
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