Cet article est le onzième de la série “Trois siècles en un”, consacrée à la France du XIXe siècle. Elle en compte dix-neuf. Le précédent est là. Le suivant est là. Le premier est là.
Cet article est le premier de la partie III “Les Royautés” de notre série.
On a consacré les quatre derniers articles à Napoléon Ier et surtout Napoléon III, dont on a vu qu’ils avaient réinventé un type de régime original, sinon recommandable : le césarisme. Mais le XIXe a aussi connu des monarchies plus traditionnelles, avec des rois et des nobles, comme dans le temps - le temps d’avant la Révolution Française, le temps de l’Ancien Régime. Enfin pas tout-à-fait comme dans le temps, justement. C’est ce que nous allons voir dans cet article et dans le suivant.
Ces monarchies s'intercalent entre le Ier Empire (Napoléon 1er) et la Deuxième République. On distingue deux périodes. La première est la “Restauration” (1814-1830, avec une brève interruption de trois mois en 1815 dûe à un retour raté de Napoléon Ier) : c’est les règnes de Louis XVIII puis de Charles X, tous deux frères de Louis XVI, qui fut le dernier roi de l'Ancien Régime et mourut décapité en 1793. La seconde est la “Monarchie de Juillet” (1830-1848) : c'est le règne de Louis-Philippe Ier.
Sur le plan institutionnel, ces deux périodes sont assez semblables. Les rois sont conscients qu’ils ne pourront plus imposer une monarchie absolue aux Français, aussi le pouvoir royal est maintenant régulé par une constitution et tempéré par un parlement. Après tout, les Anglais ont un parlement depuis des siècles et, après quelques moments difficiles, leurs rois semblent désormais bien à l’abri de la décollation.
Cependant, sur le plan politique, la Restauration et la Monarchie de Juillet sont très différentes. Nous allons parler de la première dans cette article, et nous nous occuperons de la seconde dans le suivant.
Le terme “restauration” fait référence au rétablissement sur le trône de la dynastie dite des “Bourbons”, qui l’avait détenu pendant deux siècles, de Henri IV (en 1589) à Louis XVI (destitué par les Révolutionnaires en 1792). Après l’exécution de ce dernier en 1793, puis la mort de son fils encore enfant dans les geôles révolutionnaires en 1795 (on l’appellera Louis XVII même s’il n’a pas régné), c’est son frère, le comte de Provence, qui passe premier dans l’ordre de succession au trône ; il s’appelle Louis Stanislas Xavier et sera le futur Louis XVIII.
Louis Stanislas Xavier s'exile en 1791. Il attend ensuite la fin de la Révolution. Elle arrive en 1799, avec le coup d’État dit «du 18 Brumaire». Il écrit alors au nouvel homme fort, Napoléon Bonaparte, pour lui réclamer le pouvoir ; mais celui-ci lui répond que les temps ont changé : “Vous ne devez pas souhaiter votre retour en France ; il vous faudrait marcher sur 100 000 cadavres”. Rétrospectivement, on se dit que cela n'aurait pas été si cher payé : les batailles napoléoniennes en feront cinq ou dix fois plus dans le seul camp français. Mais Bonaparte n'a de toute façon pas la moindre envie de céder le pouvoir à qui que ce soit. En 1804, il fonde l’Empire et prend le nom de Napoléon Ier.
Louis Stanislas Xavier attend alors la fin de l’Empire. Elle arrive en 1814, après une série de revers militaires. En avril de cette année-là, les monarchies européennes exilent l'ex-empereur sur l’île d’Elbe - une île coincée entre la Corse et l’Italie - et mettent enfin le patient Bourbon sur le trône. Celui qui porte maintenant le nom de Louis XVIII “octroie” alors à son pays une “charte constitutionnelle”, pour reprendre ses mots ; celle-ci est promulguée en juin 1814. Ce n’est pas autre chose qu’une constitution, mais ce dernier terme rappelle trop celles de la Révolution ; “charte” fait plus royal.
Mais Napoléon, fuyant l'Île d'Elbe et débarquant clandestinement le 1er mars 1815 près de Cannes, réussit en trois semaines à rallier à lui l’armée sur son seul nom - ce qui dit assez si Louis XVIII était populaire - et à reprendre le pouvoir. Il le conserve à peine plus de trois mois - ce sont les “Cent-jours” : il est défait à Waterloo le 18 juin 1815 par une coalition menée par la Royaume-Uni et la Prusse puis exilé, définitivement cette fois, sur l’île de Sainte-Hélène, au milieu de l’Atlantique. Les vainqueurs grognent un peu mais remettent Louis XVIII sur le trône et rapidement l’autorité de celui-ci n'est plus contestée.
La “charte constitutionnelle” est alors appliquée. Elle donne un début de parlementarisme au régime monarchique en instituant, comme en Angleterre, deux chambres chargées de voter les lois : la “Chambre des Pairs” et la “Chambre des députés”. Un début seulement, car les ministres, désignés par le roi, ne sont responsables que devant lui et pas devant les chambres (autrement dit elles ne peuvent les destituer) ; et puis, le roi (article 22) dispose d’un droit de véto.
Le suffrage est censitaire : il faut payer au moins trois cents francs d’impôts pour être électeur (article 40) ; pratiquement, cela signifie qu'environ cent mille électeurs seulement pourront voter (alors que le pays compte environ trente millions d'habitants, ce qui fait donc 0,3% de la population). Et pour être élu, le seuil d'imposition est encore plus élevé (mille francs) (article 38) : ce qui représente environ quinze mille éligibles dans le pays. Cela revient à recruter le personnel politique dans deux catégories privilégiées : la grande bourgeoisie et la noblesse (celle-ci étant riche de ses propriétés foncières).
En dépit de ces réserves, en instituant ces deux chambres, la Charte met en place une ébauche de séparation des pouvoirs, certes minimale, mais c’est déjà ça. Venant de la dynastie qui avait instauré la monarchie absolue, c’est un bel effort. C’est que Louis XVIII est conservateur, mais il est pragmatique et doué d’un bien meilleur sens politique que ses deux frères, feu Louis XVI et le futur Charles X.
Plus important encore, la charte consacre ce qui est sans doute le principal acquis révolutionnaire : l’égalité devant la loi de tous les français, indistinctement de leurs origines. Ce que cela signifie notamment que les nobles et les non-nobles sont soumis aux mêmes obligations ; l'abolition des privilèges votée lors de la fameuse nuit du 4 août 1789, et préservée par Napoléon Ier est donc explicitement reconduite. C'est même le premier article de la Charte : “Les Français sont égaux devant la loi, quels que soient d'ailleurs leurs titres et leurs rangs”. Aucun dirigeant ne reviendra plus là-dessus.
Cependant, la Révolution avait non seulement supprimé les privilèges de la noblesse mais aussi (loi du 19 juin 1790, puis constitution du 3 septembre 1791) son existence juridique même. Autrement dit, plus personne ne pouvait prétendre y appartenir, ni faire état d'un de ses titres (duc de X, comte de Y, etc). Sous l'Empire, Napoléon Ier avait ensuite maintenu ces dispositions mais il avait recyclé les termes de “duc”, “comte”, “baron”, etc, pour en faire des distinctions honorifiques qu'il distribuait aux soutiens du régime. Il s'était bien gardé de réintroduire le mot tabou de “noblesse” mais, sachant que ces distinctions étaient parfois héréditaires, c'est bien de cela qu'il s'agissait. Louis XVIII rétablit la noblesse sans jouer sur les mots, et sans faire le détail entre celle de l’Ancien Régime et celle de l’Empire : l'article 71 stipule que la première “reprend ses titres” et que la seconde “conserve les siens”. Pour être conforme au principe d'égalité énoncé dans l'article 1, ce même article précise cependant que ces titres sont purement honorifiques, "sans aucune exemption des charges et des devoirs de la société".
Ce qui chiffonne dans la charte est peut-être moins le fond que la forme, et moins les articles que le préambule. Celui-ci en donne l'esprit et on y lit l’inquiétante prétention de son signataire à tirer un trait sur tout ce qui s’est passé depuis la fin de l’ancien régime : la Révolution, la République, l’Empire... Un quart de siècle qui a transformé les mentalités ; mais que Louis XVIII prétend avoir “effacé de [son] souvenir” et dont il blâme les “funestes écarts”. Les Français, sous la plume de Louis XVIII, ne sont plus des “citoyens”, comme sous la Révolution ou l'Empire, mais redeviennent des “sujets”, comme sous l’Ancien Régime. Enfin, un peu ridiculement, il date la charte “de la dix-neuvième année de [son] règne”, comme si celui-ci avait débuté à la mort de Louis XVII en 1795 - et comme si Louis XVII avait régné…
Quoique très conservateur, le régime n'est pas pour autant monolithique et une vraie vie politique l'anime. Les pouvoirs du parlement sont certes très limités mais celui-ci est indéniablement un lieu de débat - terme qui était à peu près synonyme de rébellion sous l'Empire. Schématiquement, deux courants s’y opposent. Tous deux sont royalistes, et tous deux fort satisfaits que l'aventure napoléonienne soit terminée. Il y a d’une part les “libéraux”, qui considèrent comme définitivement acquis certains principes de la Révolution, tels que l’abolition des privilèges de la noblesse : on les trouve surtout dans la grande bourgeoisie. Et d’autre part les “ultras”, encore plus réactionnaires que le roi et qui veulent rétablir la société fondamentalement inégalitaire et cléricale d'avant la révolution : ils sont issus de la noblesse d'ancien régime. C’est d’eux dont Talleyrand - increvable bête politique qui a exercé les plus hautes fonctions sous tous les régimes - aurait dit : “ils n’ont rien appris, ni rien oublié”. Rien oublié de leur splendeur d'avant la Révolution, ni de leurs déboires ensuite ; mais rien appris de tout cela et incapables de se remettre question, comme s'il était possible de revenir en arrière et que le reste du monde dût s'adapter à eux.
A la vitalité parlementaire, s'ajoute une grande liberté de la presse, du moins les premières années. Celle-ci est beaucoup moins contrôlée que sous Napoléon Ier et l'atmosphère bien moins étouffante. Tout cela concourt à l’éducation politique d'une grande partie de la nation ; une partie encore restreinte certes, mais qui s'étend bien au-delà du cercle des très riches qui ont les moyens de voter. La Restauration a en cela été une étape utile dans la longue marche de la France vers la démocratie. La grande masse des Français reste cependant encore trop peu alphabétisée pour suivre les débats - en 1829 encore, plus de la moitié des conscrits ne savent même pas signer de leur nom...
Le régime a cependant une propension naturelle à favoriser la noblesse, en particulier celle d'Ancien Régime, qui nuit à sa popularité. Ce corps, ressuscité, on l’a dit, par l’article 71 de la charte, a rapidement un poids politique sans proportion aucune avec son poids démographique (sans doute moins de 1% de la population). Il compte dans ses rangs environ la moitié des députés car le système électoral donne un avantage écrasant aux grands propriétaires terriens, or ceux-ci comptent souvent parmi ses membres. Disposant de l’oreille du roi, dotée d’un fort esprit de corps, il se taille également la part du lion dans la haute administration (préfets, généraux, diplomates, …) : à titre d'exemple, les trois quarts des préfets nommés entre 1815 et 1830 sont d'ancienne noblesse.
Après une révolution et plus de vingt ans de guerre contre toute l’Europe, la bourgeoisie, qui comptait ravir à la noblesse sa prééminence politique, est amère. Comme si le mot ‘révolution’ était à prendre au sens propre : un tour complet et retour au point de départ… Et qu’ont fait les nobles pour mériter cela ? Nombre d'entre eux ont émigré pendant la Révolution, et souvent pour lutter - militairement ou diplomatiquement - au côté des puissances européennes contre les armées révolutionnaires : à commencer par les futurs Louis XVIII et surtout Charles X, qui tentèrent en 1791 d'organiser une riposte depuis Coblence, en Allemagne. Cette ville fut hâtivement réputée être à la tête de la contre-révolution et il devint commun chez les révolutionnaires de dire “Coblence” (ou plutôt, alors, “Coblentz”, pour sonner moins français) pour désigner celle-ci, un peu comme, à l'époque de l'URSS, les conservateurs disaient "Moscou” pour dire “les communistes”. Les Français vivaient alors dans l'angoisse d'une invasion étrangère et cette connivence les a marqués. Et puis en 1814, et de nouveau en 1815 après les “Cent jours”, tout ce petit monde est tranquillement rentré “dans les fourgons de l’étranger” (c'est-à-dire avec l'armée ennemie victorieuse), maugrée-t-on...
C'est oublier qu'une autre partie de la noblesse a servi du côté révolutionnaire : La Tour-Maubourg, Caulaincourt, Gouvion Saint-Cyr ou Grouchy, entre autres noms fameux ; ou encore Antoine Charles Louis de Lasalle (“Tout hussard qui n’est pas mort à trente ans est un jean-foutre”, avait-il dit ; le jean-foutre est tombé à Wagram (1807), à trente-quatre ans). C'est oublier aussi que le pouvoir révolutionnaire n'avait cessé de marquer sa défiance envers les nobles - notamment avec la “Loi des suspects” de 1793, qui faisait d'eux des présumés coupables. Qu'importe : il reste cette idée que les nobles étaient complices de l'ennemi et qu’ils ne méritent pas leur retour aux premières loges.
Pour couronner le tout, le régime indemnise ces “émigrés” de la Révolution. En effet, à partir de 1792 le pouvoir révolutionnaire avait confisqué puis vendu leurs biens, après avoir fait de même avec ceux du clergé ; les émigrés étant, par principe, considérés comme des ennemis de la Révolution. En 1804, Napoléon 1er avait entériné cette confiscation en inscrivant “l'irrévocabilité des ventes des biens nationaux” dans l'article 53 de la constitution qui instituait l'Empire, pour attacher au succès de celui-ci les Français qui avaient acheté de tels biens.
Cette vente était pour les “ultras” une spoliation exigeant réparation. L'indemnisation assure cette réparation et a également pour objet de rassurer les nombreux bourgeois et paysans aisés qui avaient acheté ces biens, car ce sera pour eux la garantie que leur propriété ne sera plus jamais contestée par la noblesse. Le coût de l'opération est énorme : il est estimé à un milliard de francs. Celle-ci est cependant votée en 1825, et mise en oeuvre dans la foulée. Le “milliard des émigrés”, comme on l'appelle, restera longtemps en travers de la gorge de la plupart des Français. Voilà ce qu'on peut encore lire dans le “Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle” de Larousse publié autour de 1870, près d'un demi-siècle plus tard donc, à l'article ‘Émigré’ : “il est incontestable que, prise dans sa généralité, l’émigration [des nobles durant la Révolution] eut tout d’abord le caractére odieux d’appel à l’étranger, de révolte contre la nation. [...] Ceux [des émigrés] qui étaient restés à l’étranger [sous l'Empire] rentrèrent avec les Bourbons et formèrent le parti des ultras [puis] arrachèrent à la France le trop fameux ‘milliard des émigrés’ (1825). C’était le salaire de leurs trahisons et de leurs complots”.
Politiquement, ce sont au final les “ultras” qui ont marqué la Restauration. Le régime se droitise et se cléricalise à partir de 1820, suite à l'assassinat cette année-là par un bonapartiste du fils du futur Charles X. L'avènement au trône de ce dernier en 1824 accentue encore la tendance, car il est encore plus réactionnaire que son prédécesseur de frère et beaucoup plus obtus que lui. Il décide, le 25 juillet 1830, après une élection défavorable aux “ultras”, de dissoudre la chambre des députés, jugée trop libérale, et de suspendre la liberté de presse. Pour le petit peuple parisien (artisans, petits patrons, ouvriers...), déjà agacé d’être exclu depuis si longtemps du jeu politique par le suffrage censitaire, c’est la goutte d’eau : il prend les armes et contraint le roi au départ, au terme de “trois glorieuses” (comme on les appellera ensuite) journées d’insurrection, les 27, 28 et 29 juillet. C'est la fin de la Restauration, dernière période de prédominance de la noblesse dans notre histoire.
Va lui succéder une autre monarchie, qu’on appelle la “Monarchie de Juillet”. Ce sera l’objet du prochain article, intitulé “Le roi-citoyen”.
Sources principales :
Francis Démier, “La France du XIXe siècle”
Encyclopedie Universalis, article “Restauration” de Philippe Sussel
Encyclopedie Universalis, articles “Louis XVIII (1755-1824) roi de France (1814-1815 et 1815-1824)” et “Charles X (1757-1836) roi de France (1824-1830)” de Guillaume de Berthier de Sauvigny
France Culture, “Les lundis de l'histoire” par Philippe Levillain : émission du 25 juin 2012 “La France de la Restauration” avec Francis Démier, Jean-Claude Yon et Mathilde Larère
Canal académie “La Restauration, une période riche, injustement traitée par les historiens”, avec Jean-Paul Clément
Philippe du Puy de Clinchamps, “La noblesse”, collection ‘Que Sais-Je’, Presses Universitaires de France, troisième édition (1968)
Adeline Daumard, “Noblesse et aristocratie en France au XIXe siècle” (consultable sur www.persee.fr)
Emmanuel de Waresquiel, “L'histoire à rebrousse-poil : Les élites, la Restauration, la Révolution” (consultable par extrait sur books.google.fr)
Christian Henke, “Coblentz/Coblence : symbole pour la Contre-Révolution et l’émigration française dans l’électorat de Trèves” (https://books.openedition.org/pur/16562)
Almut Franke, “Le milliard des émigrés: the Impact of the Indemnity Bill of 1825 on French Society”, chapitre 8 du livre “The French Emigres in Europe and the Struggle against Revolution, 1789-1814”, consultable par extrait sur books.google.fr
Commentaires