Cet article est le septième d'une série de huit articles consacrés à l'astronomie durant l'Antiquité. Le premier est ici.
Dans cet article nous parlerons de l'astrologie.
Il n'est pas sûr que les astres aient une influence sur les humains, mais il est certain que l'astrologie a eu une sur les intellectuels. On l'a dit dans notre article précédent, la physique d’Aristote (-384 - -322) donne un fondement pseudo-scientifique au principe de l'astrologie, qui est qu'on peut deviner le futur en étudiant les astres.
La physique d’Aristote place la Terre au centre de l’univers, qu’elle divise en deux parties :
- le monde céleste, situé au-dessus de l’orbite de la Lune, qui est inaltérable et incorruptible.
- le monde sublunaire, situé sous l’orbite de la Lune (et incluant donc la Terre), qui est soumis aux générations, aux destructions, et aux changements d'une manière générale.
Elle "montre" enfin que les mouvements des astres (étoiles, soleil, planètes, lune) dans le premier monde sont à l'origine des changements qui affectent le deuxième, concrètement la Terre et ses habitants.
L’idée d’une action des astres sur le cours des choses terrestres n’est bien sûr pas une invention d’Aristote ; plus probablement, elle est aussi vieille que l’homme lui-même. En Grèce, elle est largement dominante. Mais elle y acquiert une autorité nouvelle au -IVe siècle, autorité qu'elle doit moins à la philosophie d’Aristote, qu’à des conséquences inattendues des conquêtes de celui qui fut son élève : Alexandre le Grand (-356 - - 323).
Ces conquêtes s’étendent jusqu’à l’Inde (voyez la carte à gauche) et donnent lieu à d’intenses échanges culturels entre l’Asie et l’Europe, échanges qui perdureront longtemps après la mort d’Alexandre, dans ce qu’on appellera plus tard le monde hellénistique [1]. Or, au contact des Chaldéens (c’est-à-dire des habitants de la région de Babylone), les Grecs découvrent un art élaboré de divination par les astres, pratiqué là depuis, au moins, le début du -IIe millénaire. Beaucoup d’entre eux sont très admiratifs et font la promotion de cette "science" en Europe.
D'autre part, lorsque les soldats d’Alexandre arrivent en -327 à l’embouchure de l’Indus (qui se déverse en mer d’Oman, c’est-à-dire dans l’Océan Indien), ils découvrent un phénomène qui allait donner plus tard un poids singulier aux thèses des astrologues : les marées. Elles sont d’une faible ampleur en Méditerranée, et les savants grecs (notamment Aristote) les tenaient jusque-là pour un épiphénomène sans grand intérêt. Dans l’Océan Indien, elles sont d’une toute autre envergure. Toujours autour du -IVe siècle, deux Grecs en observent aussi sur les rives de l’Atlantique : Euthymène (sur les côtes africaines), puis Pythéas (sur les côtes anglaises). Tous deux sont originaires de Marseille. (Oui, notre Marseille à nous. N’oublions pas que Marseille a été fondée par des Grecs ! A droite, une reconstitution du bateau de Pythéas).
Pythéas attribue la cause des marées à la Lune. Au siècle suivant, le grand savant grec Eratosthène (-276 - -194) reprend ses observations et tire les mêmes conclusions. On sait cela par les écrits du géographe Grec Strabon (-57 - 21), qui rapportent d’ailleurs que des contemporains d’Eratosthène lui ont reproché d’accorder trop de confiance aux allégations de Pythéas. Les Marseillais avaient déjà une petite réputation de galéjeur, dirait-on… Mais Pythéas avait raison et les savants grecs finissent par se convaincre du rôle de la Lune dans les marées.
Tout le monde, bien sûr, connaît par ailleurs l’effet du Soleil sur la nature… Dès lors, pourquoi les autres astres, Mercure, Vénus, Mars, Saturne, n’auraient-ils pas eux aussi, comme la Lune et le Soleil, leur influence propre ?… Et pourquoi celle-ci ne pourrait-elle être identifiée et prédite par une science suffisamment avancée, comme le prétendent les Chaldéens ?…
Voilà les questions qui trottent dans la tête des savants grecs au -IIIe. Le doute s’insinue et le virus de l’astrologie se répand, pour contaminer au fil des siècles les autres sciences. Ainsi émerge l’alchimie : on attribue (probablement là encore une influence chaldéenne) une influence particulière de chaque astre sur certains métaux : le Soleil sur l’or, la Lune sur l’argent, Saturne sur le plomb, Mercure sur le… mercure, etc. La recherche de la fameuse pierre philosophale, celle qui transforme le plomb en or, commence à obséder les savants. Même ascendant de l’astrologie en médecine : le médecin grec Galien (131 – 201) constate-t-il que certaines maladies connaissent une alternance de périodes de rémissions et de périodes d’aggravation ? On conclut aussitôt que c’est dû à la cyclicité des mouvements célestes, et qu’il est nécessaire d'établir un horoscope détaillé du patient afin de lui administrer ses médicaments au meilleur moment.
Au début de notre ère, rares sont ceux qui, comme les disciples du philosophe Epicure (-341 – -270, ci-contre à droite), doutent d’une influence réelle des planètes. La frontière se situe plutôt entre ceux pour qui cette influence est totale et fatale (tout ici-bas dépend des astres, et ne dépend que d’eux), ainsi les adeptes de la philosophie stoïcienne la plus stricte ; et ceux pour qui elle est seulement partielle ou évitable (ses effets sont limités à une certaine catégorie de phénomènes, et peuvent parfois être contrecarrés).
Les premiers – les fatalistes - s’attirent un certain nombre de railleries, ainsi celles d’un certain Favorinus d’Arles (90-150, oui, notre Arles à nous) : «Mais parce que la marée de l'Océan correspond au cours de la Lune, nous faudra-il croire que l'affaire de tel particulier qui plaide contre des riverains pour une question de conduite d'eau ou contre son voisin pour un procès de mur mitoyen, que cette affaire, disons-nous, est menée par le ciel comme à l'aide de rênes ? C'est trop idiot et trop absurde.»
Et puis, le fatalisme complet est tout de même assez déprimant. Ainsi, le stoïcien Chrysippe (-281 – -205) défend l’art de la divination et professe que les destinées humaines sont immuablement régies par les astres. Mais à quoi bon connaître le futur, si de toute façon on n’y peut rien changer ? Où est la liberté si tout est écrit d’avance ? Chrysippe s’efforce donc de ménager une certaine contingence (c’est-à-dire une part de liberté, ou de hasard) dans son système, mais il ne convainc pas : Cicéron (-106 – -43) trouve tout cela passablement tiré par les cheveux, quant à Alexandre d’Aphrodisias (IIe-IIIe s.) il rembarre sèchement Chrysippe : prétendre concilier le fatalisme avec la liberté, écrit-t-il, «n’est-ce pas plaisanter dans des raisonnements où la plaisanterie n’est pas de mise ?».
Les chrétiens seront des adversaires résolu du fatalisme astral. En effet, c’est Dieu qui meut les planètes ; mettre les destinées humaines sous leur dépendance, c’est donc, en bout de course, rendre Dieu responsable de toutes les actions commises par les hommes… y compris les mauvaises, ce qui est contradictoire avec son infinie bonté. Le théologien et évêque Augustin (354 – 430, ci-contre à gauche), notamment, combattra donc ce fatalisme, et donnera à cette occasion plusieurs arguments de bon sens contre les horoscopes. (Notons que la doctrine de saint Augustin laisse malgré tout peu de place au libre arbitre : c’est qu’en matière de liberté, habiller l’homme, c’est déshabiller Dieu… L’équilibre est délicat à trouver.).
L’attitude de l’Eglise catholique vis-à-vis de l’astrologie sera mitigée durant tout le Moyen-Age. Tolérée, et même enseignée, lorsqu’elle n’est pas fataliste et n’entame pas le libre arbitre, elle sera condamnée sans relâche dans le cas inverse. C’est le sens, notamment, de deux arrêts rendus par l’évêque de Paris Etienne Tempier en 1270 et 1277.
A partir du XVIIe, l’astrologie ne cesse de reculer. Ce ne sont plus les astres, mais les sciences physiques modernes qui semblent alors mettre en péril le libre arbitre, en soumettant la nature, et en particulier les humains, à des lois physiques implacables. Cela commence au début du XVIIe avec la loi sur la chute libre de Galilée ; en 1687, ce sont les lois sur la gravitation universelle de Newton (1687, ci-contre à droite), qui auront une influence extraordinaire sur le cours des idées en occident ; au XIXe, les lois de l’électromagnétisme… Le déterminisme [2], version moderne et scientifique du fatalisme, a le vent en poupe. Mais celui-ci semble tourner dans les années 1920, lorsque les physiciens de l’atome introduisent des probabilités, et donc une part de hasard, dans les principes d'une mécanique aux équations jusque-là parfaitement déterministes : c'est le "principe d'incertitude" posé par Heisenberg (ci-contre à gauche) en 1927. Certains théologiens croient y trouver un fondement au libre-arbitre… Le débat sur le libre arbitre n'est pas près d'être clos.
[1] le monde hellénistique : cette expression désigne la région de l’Orient marquée par la culture grecque après sa conquête par Alexandre le Grand, pendant la période qui s'étend de la mort de celui-ci (-323) aux conquêtes romaine (Ie s).
[2] déterminisme : «doctrine philosophique suivant laquelle tous les événements, et en particulier les actions humaines, sont liés et déterminés par la totalité des événements antérieurs» (Dictionnaire "Le Robert")
Sources :
- Les tomes 2 et 8 du «Système du Monde» de Pierre Duhem, disponibles sur Gallica, bibliothèque numérique en ligne de la BNF.
- «Les Génies de la Sciences», no 27, mai-juillet 2006, titré «Planck, la révolution quantique».
- Le «Dictionnaire culturel en langue française» (éd. Le Robert), article «Astronomie et astrologie».
Article suivant de la série "L'astronomie durant l'Antiquité" : 8 – La Grande Année.
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