Cet article est le premier d'une série de huit, consacrés à l'astronomie durant l'Antiquité.
L’année dernière, le 24 août 2006, l’Union Astronomique Internationale a décidé que Pluton n’était pas une planète. Mais qu’appelle-t-on une planète ?
Jusqu’au 24 août 2006, on désignait communément par ce terme les gros astres qui tournent autour du Soleil : par ordre d’éloignement, Mercure, Vénus, Terre, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune et Pluton; l’ensemble constituant le système solaire. L’UAI a décidé que le terme de planète n’était pas assez sélectif et a distingué «planètes» et «planètes naines» - Pluton étant rangée dans la seconde catégorie, les autres restant dans la première.
A l’époque dont on va parler ici, l’Antiquité grecque, on n’y regardait pas de si près – on aurait bien aimé, mais il aurait fallu de puissants outils astronomiques pour cela. On ignorait même alors que les planètes tournaient autour du Soleil (c’est à partir de 1543 seulement, avec Copernic, que cette idée commencera à s’imposer).
Alors, reformulons notre question : qu’appelait-on une planète, dans la Grèce antique ? Justement, le mot «planète» dérive d’une expression grecque : "planètès asterès", littéralement "étoile errante". Une planète, à l’époque, c’est donc une espèce d’OVNI qui suit un cours apparamment fantaisiste sur le fond des étoiles dites 'fixes' qui paraissaient figées dans le ciel. (Les Grecs se doutaient en effet que ces dernières étaient plus éloignées que les planètes.).
Non seulement Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne étaient des planètes pour les Grecs, mais aussi le Soleil et la Lune. Uranus, Neptune et Pluton leur étaient inconnues ; quant à la Terre, s’il y a une chose qui n'‘erre’ pas selon eux, c’est bien elle. Donc 7 planètes en tout.
Déjà dans l’antiquité, ce terme de «planète» divisait. Platon (-429 - -328), qui est de l’espèce réactionnaire (la loi et l’ordre, il n’y a que ça de vrai), ne supporte pas l’idée que des vagabonds se promènent dans ciel sans rime ni raison. «Ce qu'on pense ainsi du Soleil, de la Lune et des autres étoiles [dites errantes] n'est pas, mes chers amis, une doctrine saine. Jamais ces astres n'errent ; leur cours est tout l'opposé d'une marche errante ; chacun d'eux parcourt sa voie propre» (Platon, "Les Lois"). Il faut un ordre à tout cela.
Les Grecs ne sont bien sûr pas les seuls, ni même les premiers, à s’être intéressés aux planètes. Notamment, avant eux et depuis bien plus longtemps, les Chaldéens (à Babylone, dans l’actuel Irak) en relevaient les déplacements avec une inlassable minutie. Mais ils sont très probablement les premiers à avoir voulu ordonner les mouvements des astres, c’est-à-dire déterminer mathématiquement leurs trajectoires.
Cette ambition remonte probablement à Pythagore (-VIe s.), un siècle et demi avant Platon. Pythagore n’a laissé aucun écrit ; on lui attribue dès l’Antiquité quantités de conceptions philosophiques, de découvertes (allez savoir si le fameux théorème qui porte son nom est de lui !), voire de miracles ; mais il est sans doute le premier à avoir professé l’idée suivante, qui aura une grande postérité : l’univers est organisé harmonieusement, et tout ce bel ordre peut être exprimé en termes mathématiques. La doctrine de Pythagore est fortement empreinte de mysticisme, puisqu’elle va jusqu’à faire des nombres des êtres quasi-divins qui recéleraient tous les secrets de l’univers.
Platon ne va pas si loin mais il fait sienne l’idée de base. Significativement, il emprunte à Pythagore l’emploi du mot ‘cosmos’ pour désigner l’univers, quand ce terme signifiait à l’origine en grec à la fois ‘bel ordre’ et… ‘parure féminine’ (ce dernier sens transparaît encore dans le mot ‘cosmétique’).
Il appelle alors les mathématiciens à résoudre le problème suivant : «Quels sont les mouvements circulaires et parfaitement réguliers qu'il convient de prendre pour hypothèses, afin que l'on puisse sauver les apparences présentées par les astres errants ?» En d’autre terme, comment décomposer les mouvements des planètes en mouvements circulaires uniformes (= de vitesse constante) ? Car le problème avait pour lui nécessairement une solution. La question trottait déjà dans la tête des savants dès Pythagore, mais on ne prête qu’aux riches… Et l’autorité de Platon a sans doute été décisive pour en faire l’exercice imposé de la recherche astronomique. Cela durera pendant… 2000 ans environ, jusqu’en 1609 précisément, lorsque l’astronome allemand Kepler, s'affranchissant du programme de Platon, montrera que les planètes parcourent toutes une ellipse.
En attendant, pendant ces deux mille ans, les astronomes, en tentant de répondre à la question de Platon, établiront des modèles mathématiques de plus en plus fidèles du cours des astres - même s’ils n’atteindront jamais l’exactitude parfaite de celui que proposera Kepler. Si bien qu’on peut dire que cet appel de Platon à "sauver les apparences" est l’acte de naissance des sciences physiques modernes, c’est-à-dire celles qui entendent décrire la nature à l’aide du formalisme des mathématiques.
Nous revenons sur l’histoire de l’astronomie grecque dans les articles à suivre.
Sources :
- L'article "Système solaire" du site Wikipédia.
- Le tome 1 du "Système du Monde" de Pierre Duhem, disponible sur Gallica, le site de la bibliothèque numérique de la BNF.
- Les encadrés "Planète" et "Univers" du Dictionnaire culturel en langue française (éd. Le Robert).
Article suivant de la série "L'astronomie durant l'Antiquité" : 2 - Eudoxe et les "sphères homocentriques".
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