Descartes, L’Homme qui voulait prouver l’existence de Dieu. Feuilleton paraissant le lundi et le jeudi. Episode 6/16 : «La Métaphysique de Descartes». Le premier épisode est ici.
Résumé des épisodes précédents : Descartes s’est mis en tête de démontrer l’existence de Dieu. En 1640, dans les «Méditations Métaphysiques», son grand œuvre, il entend donner la démonstration définitive qui convaincra tous les sceptiques. Il compte soumettre d’abord les Méditations à un petit cercle de relecteurs avant de les publier. Mais que contiennent-elles donc ?
Fin 1640, Descartes a achevé son œuvre majeure qui sera plus tard titrée ainsi : «Méditations Métaphysiques touchant la première philosophie, dans lesquelles l’existence de Dieu et la distinction réelle entre l’âme et le corps de l’homme sont démontrées». Voyons brièvement en quoi consistent ces Méditations, et les objections les plus sérieuses qui seront formulées, d’un point de vue philosophique.
Pour ce qui concerne l’existence de Dieu, Descartes donne plusieurs arguments. Le principal figurait déjà dans le Discours de la Méthode et on l'a présenté précédemment. Rappelons-en les grandes lignes :
L’homme a une idée de la perfection et de l’infini ; or il est lui-même imparfait et fini. Comme l’effet ne peut pas contenir plus que la cause, autrement dit, comme le moins ne peut pas créer le plus, ces idées de perfection et d’infini n’ont pu être créées par l’homme. Elles ont dû être déposées en lui par un être parfait et infini ; donc cet être existe et c’est Dieu.
Cette preuve est parfois appelée preuve par l’idée de parfait. Mais, peut-on objecter, quel crédit apporter cette règle, "l’effet ne peut pas contenir plus que la cause" ? Contenir plus de quoi ? Peut-on toujours comparer la cause et l’effet, l’architecte et la maison par exemple, ou le spermatozoïde et l’éléphant [1], et comment ?… C’est un des abus fréquents des philosophes que de postuler des relations d’ordres comme autant d’évidences (par exemple, l’homme est plus parfait que l’animal, pour Descartes). Leur bon sens apparent emporte en général l’adhésion, mais faute de définition précise elles rendent possibles tous les sophismes [2].
En outre, peut-on vraiment dire que l’homme a une idée de la perfection et de l’infini ? Si c’est le cas, ne s’agit-il pas plutôt d’extrapolations faites à partir de ce que l’on constate ici-bas ? On peut, par exemple, imaginer pour tout nombre, un nombre plus grand, et de là abstraire la notion d’infini. Le spectacle d’une belle statue, puis d’une très belle statue, laisse imaginer l’existence une statue parfaite, et de là on abstrait l’idée de perfection - une idée, du reste, probablement confuse et certainement très subjective. Quant à parvenir à concevoir un être «infini en un si haut degré, qu’il ne se peut rien ajouter à la souveraine perfection qu’il possède» (3ème Méditation), il n’est pas sûr que beaucoup aient cette chance à part Descartes...
L’autre objet des Méditations est la séparation du corps et de l’âme. À nouveau, Descartes développe un argument déjà ébauché dans le Discours de la Méthode :
Pour Descartes, certaines pensées sont manifestement décorrélées de toute sensation. Ainsi, on peut s’imaginer des figures géométriques qu’on n’a jamais vues dans la nature. Ou on peut penser à Dieu, qu’on n’a jamais vu, entendu, senti à proprement parler... De telles pensées ne proviennent donc pas de nos sens corporels. Descartes en déduit que l’âme, qui a en elle de telles pensées, est distincte du corps et qu’elle est immatérielle.
Là encore, il y aura des objections. Il n’est pas clair que de telles pensées existent. On peut s’imaginer un triangle car on en a déjà vu, mais sans cela en serait-on capable, en a-t-on vraiment une idée innée (c'est-à-dire, dès la naissance) ? D’autre part, même si elles existaient, ces pensées, elles pourraient a priori aussi bien être créées par une âme matérielle.
Bref, il faut bien reconnaître qu’au sortir des Méditations, le lecteur n’est toujours pas fixé sur l’existence de Dieu, ni sur la distinction réelle entre l’âme et le corps de l’homme.
Bien sûr, le raisonnement de Descartes est exposé de façon infiniment plus subtile et progressive que ci-dessus. Et surtout, nous dit Descartes, assimiler les Méditations n’est pas qu’une affaire d’effort intellectuel : cela réclame aussi un travail spirituel, qu’il dit avoir fait lui-même et expose dans les deux premières Méditations. Il s’agit donc d'abord (première Méditation) de douter de tout - de nos opinions, mais aussi de nos sensations ; il faudrait y passer «quelques mois, ou du moins quelques semaines». Puis (deuxième Méditation) d’apprendre à «éloigner son esprit des sens», «afin que l'habitude de confondre les choses intellectuelles avec les corporelles, qui s'est enracinée en nous pendant tout le cours de notre vie, puisse être effacée par une habitude contraire de les distinguer, acquise par l'exercice de quelques journées». Alors seulement, le lecteur est apte à comprendre les démonstrations des Méditations suivantes (il y en a six en tout) et par là, accéder à la vérité…
Ce n’est que postérieurement aux Méditations elles-mêmes [3] et comme en passant que Descartes mentionnera aussi clairement la nécessité de tels exercices spirituels. Peut-être redoute-t-il de désorienter son lecteur, ou simplement de le décourager ? Ce n’est en tout cas pas un hasard s’il a titré son oeuvre «Méditations Métaphysiques» plutôt que «Traité de Métaphysique» ou «Principes de Métaphysique».
Quoi qu'il en soit, Descartes a relancé un genre, après une dizaine de siècles où la métaphysique était restée, au mieux, une boîte à outil conceptuelle héritée de l’Antiquité, à l’usage exclusif des théologiens et au service de la foi chrétienne. Descartes l’a voulue libre, dans sa pratique comme dans ses fins. Il n’est plus nécessaire de s’autoriser d’Aristote ou d’autres, il n’est plus demandé d’éclairer les textes bibliques.
Plusieurs tenteront à sa suite de cerner au plus près, par la seule raison et en partant pour ainsi dire de rien, la nature de l’âme, celle de Dieu, et la façon dont Dieu gouverne l’univers. C’est ce qu’on appellera la métaphysique classique, courant qui s’épuise au début du XVIIIe siècle.
Ainsi le hollandais Spinoza (1632-1677, ci-dessus à droite) expose dans son «Ethique» (1677) sa métaphysique à la manière d’un cours de géométrie, et laisse échapper d’un fatras de «définitions», «propositions» et autres «corollaires» quelques éclairs étourdissants où l’on entrevoit son fabuleux secret : la volonté divine, et l'union de toutes les intelligences - c’est une seule et même chose… Ou l’allemand Leibniz (1646-1716, ci-contre à gauche), pour qui Dieu est une sorte de super ordinateur qui a calculé toutes les éventualités possibles et retenu les moins mauvaises, si bien que notre monde est le meilleur des mondes possibles. Leibniz - Spinoza - Descartes : c'est le composé le plus hallucinogène du XVIIe ; ces trois-là sont des poètes de la Raison.
La raison du (barbant) siècle suivant sera beaucoup plus raisonnable et en 1781, 140 ans après les Méditations, le philosophe allemand Emmanuel Kant siffle la fin de la récré dans sa bien nommée «Critique de la Raison Pure» : les discours sur l’âme ou sur Dieu sont invérifiables car on ne peut les soumettre à aucune expérience. Autrement dit la métaphysique n’est pas une science. Il a raison, bien sûr. Son jugement sera définitif et on n’a rien ajouté de vraiment intelligent sur la question depuis. Mais qui lui avait demandé son avis ?
Revenons en 1640. Descartes a soumis ses Méditations au jugement de quelques-uns de ses contemporains, tels que Hobbes, Gassendi, Mersenne ou Arnauld. On a vu (cf épisode 5 "Les Objecteurs") que c'était des esprits curieux et savants mais aussi de fortes personnalités, aux convictions intransigeantes.
Ce ne sont pas des critiques complaisants et ils n'interviendront pas pour faire de la figuration ou échanger des amabilités. D’autant que leur relecture des Méditations est pour eux l’occasion de faire état de leurs propres conceptions philosophiques.
La suite jeudi 20 juillet avec l’épisode 7/16 du Descartes Code : «Descartes vs Hobbes»
[1] Exemple emprunté à l' “Histoire de la Philosophie Occidentale” de Jean-François Revel. Nous n'en avons pas trouvé de meilleur !
[2] sophisme : argument, raisonnement faux malgré une apparence de vérité.
[3] dans ses Réponses aux Secondes Objections.
Etre
L'Apparence Est
Matière
Conscience
Mouvement.
Rédigé par : patrick hubert | 22/02/2007 à 18:43
Magnifique, Bravo !!!! merci clap clap
Rédigé par : cpo | 27/04/2009 à 21:34