Descartes, L’Homme qui voulait prouver l’existence de Dieu. Feuilleton paraissant le lundi et le jeudi. Episode 3/16 : «Le Brouillon». Le premier épisode est ici.
Résumé des épisodes précédents : Descartes s'est mis en tête de prouver l’existence de Dieu. Il publie en 1637 son «Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences». Le premier pilier de cette fameuse méthode, c’est le raisonnement ; le second, c’est l’évidence, c’est-à-dire le fait qu’on peut tenir pour vrai ce qui nous paraît évident. Qu’est-ce qui autorise ce dernier postulat ? C'est là qu'intervient la métaphysique...
La première règle du Discours de la Méthode de Descartes est la suivante : «ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle». Mais pourquoi une évidence serait-elle nécessairement une vérité ? C’est ici qu’intervient la métaphysique de Descartes, qui fait l’objet de la partie IV du Discours de la Méthode.
Pour Descartes, une évidence est une vérité parce qu’elle vient de Dieu. C’est en quelque sorte ce que Dieu montre à notre raison. Or Dieu, être infiniment juste, ne saurait nous tromper... Certes, mais est-on sûr que Dieu existe ? Oui : Dieu lui-même existe nécessairement car l’idée de sa perfection n’aurait pu germer en l’homme si un être parfait (Dieu, donc) ne l’y avait déposée. L’imparfait (l’homme) ne peut créer spontanément le parfait (l’idée de Dieu), le moins ne peut pas le plus. Donc Dieu existe et les évidences sont des vérités.
Dire "si je pense, c’est que j’existe", ou encore : "je pense, donc je suis", est un exemple d’évidence. C’en est même l’archétype pour Descartes. C’est en effet un pur constat de notre raison ; les sens corporels, souvent trompeurs, n’y prennent aucune part. Allons plus loin : je peux - prétend Descartes - concevoir que je n’ai pas de corps, à la limite ; mais je ne peux concevoir que je n’ai pas d’âme, puisque c’est justement l'âme qui me permet de concevoir. L’âme est donc distincte du corps.
Voilà. C’était, comme Descartes l’annonce dans l’introduction du Discours, «les raisons par lesquelles il [Descartes] prouve l'existence de Dieu et de l'âme humaine, qui sont les fondements de sa métaphysique.».
Tout cela paraît bien approximatif et péremptoire, et a certainement laissé dubitatifs les lecteurs de l’époque. C’est d'autant plus dommage que Descartes fonde sa physique sur sa métaphysique, et plus précisément sur l’existence de Dieu. En effet, Dieu garantissant selon lui qu’une chose évidente est vraie, il considère qu’il suffit qu’une théorie scientifique ait un caractère d’évidence pour qu’on puisse la tenir pour vraie. Au rebours des paradigmes de la révolution scientifique qui s’opère en son temps (notamment sous l’impulsion de Galilée), il ne juge pas nécessaire de la soumettre à l’expérimentation pour cela. Or, comme il le note d'ailleurs ingénument lui-même, il y a «quelque difficulté à bien remarquer» si une idée tient de l’évidence ou non, ce qui rend les fondements de la «méthode pour chercher la vérité dans les sciences» bien fragiles… De fait, le savant Descartes s’est trompé beaucoup, beaucoup plus souvent qu’à son tour et a laissé peu de découvertes.
Quant à la formule «je pense, donc je suis» (donnée dans la partie IV du Discours) mettra quelques siècles encore avant de devenir la plus connue de l’histoire de la philosophie - au point d'être maintenant accomodée à toutes les sauces par les journalistes, les publicitaires, les humoristes, etc.
Quoiqu’il en soit, comme on l’a dit dans l’article précédent, les passages du Discours consacrés aux mathématiques et, dans une moindre mesure, aux phénomènes optiques, sont remarquables, et par ailleurs le style de l’ensemble est neuf et séduisant. Descartes s’est attiré une certaine notoriété, on le lit, on le commente. Les censeurs de l’Eglise, quant à eux, peuvent tirer du Discours deux conclusions sur son auteur. Premièrement il croit en Dieu – c’est déjà cela. Deuxièmement, par son rejet «a priori» de la scolastique, c’est un ennemi en puissance du dogme catholique. La scolastique est l'enseignement promu par l’Eglise ; elle est fondée en grande partie sur la philosophie d’Aristote, que Descartes semble s’être fixé comme objectif de démolir pierre à pierre (cf épisode 2 "La Méthode"). «Je dis hardiment que l'on n'a jamais donné la solution d'aucune question suivant les principes de la philosophie péripatéticienne [c’est-à-dire celle issue d’Aristote], que je ne puisse démontrer être fausse ou non recevable» écrira-t-il plus tard dans une lettre.
Descartes sent bien que sa preuve de l’existence de Dieu est un peu faiblarde, au moins sur la forme. Il faut qu’il retravaille tout cela.
Ce sera les «Méditations Métaphysiques», achevées en 1640.
La suite lundi 10 juillet avec l’épisode 4/16 du Descartes Code : «Les Méditations»
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