Descartes, L’Homme qui voulait prouver l’existence de Dieu. Feuilleton paraissant le lundi et le jeudi. Cet article est le premier d’une série de seize, consacrés à la philosophie de Descartes, et principalement aux tentatives de démonstration de l’existence de Dieu qu’on y trouve, et aux ennuis que celles-ci vaudront à leur auteur. Episode 1/16 : «La Vocation»
C’est l’histoire d’un philosophe, Descartes, qui s’est mis en tête de prouver l’existence de Dieu.
Ca démarre en 1627. (Oui, après le Moyen-Âge, nous sommes d’accord.). A cette date, toute personne un peu informée sent bien, à regret ou non, que la doctrine de l’Eglise catholique n’est plus la règle de toute chose et que la «pensée unique» a vécu, dans tous les domaines. La religion protestante coexiste depuis quelques décennies à côté de la catholique (en Europe, mais aussi en France même). On redécouvre, depuis plus d’un siècle, des philosophes oubliés de l’Antiquité et on y lit des conceptions qui, pour être peu… catholiques, n’en sont pas moins cohérentes ; ainsi l’épicurisme, philosophie matérialiste. Des savants prétendent que la Terre tourne autour du Soleil, alors que l’Eglise soutient l’inverse. Enfin, chacun sait qu’aux Amériques vivent des peuples qui n’avaient jamais connu le Christ avant l’arrivée des Européens, sans s’en porter plus mal… et qui ne s’en portent certainement pas mieux depuis.
C’est cet univers pluriel qui servait déjà de toile de fond aux «Essais» de Montaigne dans les années 1580, quarante ans plus tôt, et y avait imprimé un profond scepticisme ; mais Montaigne se contentait de douter (ce qui était déjà une révolution) sans remettre en question l’ordre établi ; tandis que les esprits libres, ceux qu’on appelle alors les "libertins", entendent maintenant s’affranchir de la tutelle de la religion et des usages, que ce soit en philosophie, en littérature ou dans les mœurs. En matière de religion, ils flirtent avec le déisme (il existe un Dieu créateur, mais il ne s’intéresse pas à l’homme) le panthéisme (ce qu’on appelle Dieu, c’est la Nature) voire avec l’athéisme (Dieu n’existe pas).
Inversement, l’Eglise est plus réactionnaire que jamais. Elle a figé son dogme lors du Concile de Trente [1], au milieu du siècle précédent. Dans le cadre de sa contre-réforme (une espèce de révolution conservatrice), elle chasse systématiquement les opinions considérées comme hérétiques et les réprime durement. Elle fait peu de nuances et les trois notions précédentes d’athéisme, de déisme et de panthéisme sont regroupées dans le même terme d’«athéisme», hérésie suprême. En 1600, elle a fait brûler vif le philosophe Giordano Bruno (qui n’était pourtant pas un libertin) pour ce motif. On comprend qu’elle n’attire maintenant pas plus les grands penseurs que ne le fera le Parti Communiste sous Brejnev. Les esprits brillants n’ont pas vocation à suivre la ligne du parti.
En 1627 donc, dans un salon parisien, le cardinal De Bérulle, homme de confiance de Louis XIII, croit pourtant trouver l’oiseau rare, celui qui peut détourner les fameux libertins de l’"athéisme" et les réconcilier avec la religion. Descartes vient de lui présenter avec une éloquence remarquable les principes de sa philosophie. Le terme "philosophie", à l ‘époque, recouvre à peu près toutes les branches du savoir, hormis la théologie (la science de la religion, qui touche au sacré) ; c’est-à-dire aussi bien les mathématiques, l’astronomie ou la médecine (entre autres), que la métaphysique, dite aussi philosophie première, discipline qui prétend cerner la nature de l’âme, de Dieu, etc. La frontière entre démonstration et spéculation n'est alors pas bien nette.
Descartes est un croyant sincère et en même temps, c’est un scientifique qui utilise le seul langage que les libertins écoutent : celui qui ne recourt qu’à la seule raison, jamais au dogme ou à la foi. Le cardinal est emballé : Descartes se doit, dit-il, de développer et faire connaître sa philosophie ; c’est même (rapporte un biographe de l’époque) «une obligation de conscience, sur ce qu'ayant reçu de Dieu une force et une pénétration d'esprit avec des lumières qu'Il n'a point accordées à d'autres, il sera responsable devant ce juge souverain des hommes du tort qu'il feroit au genre humain en le privant du fruit de ses méditations», etc.
Encore un entretien avec le cardinal, et Descartes est convaincu. Il décide de s’exiler, pour pouvoir se consacrer à ses «divertissemens d’étude», comme il dit, sans être dérangé. Il hésite quelques mois à droite à gauche, puis se fixe aux Pays-Bas. Il y passera quasiment le restant de sa vie, même s’il y déménagera souvent. Il a 32 ans. Il attaque d’emblée le gros œuvre : la métaphysique ; et ce qui, pour lui, en est le cœur : l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme. Ca ne doit pas être plus compliqué à démontrer qu’autre chose, il suffit de s’y mettre et d’être un peu concentré, c’est tout.
Ca le travaillera jusqu’à la fin de sa vie et lui vaudra un tas d’ennuis.
La suite lundi 03 juillet avec l’épisode 2/16 du Descartes Code : «la Méthode»
[1] Le Concile de Trente s’est réuni entre 1545 et 1563. Un concile est une assemblée exceptionnelle des évêques catholiques devant statuer sur des sujets particulièrement importants pour l’Eglise, concernant son dogme, son organisation…
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